Le sourcing ou comment jeter des ponts entre ici et là-bas
25 Janvier 2021 • 3 min de lecture
Le sourcing ou comment jeter des ponts entre ici et là-bas
Interview de Florent Gout, acheteur de café vert
Co-fondateur d’Esperanza Café, Florent en est le responsable du sourcing et parcourt le monde à la recherche de nouvelles origines. Il est également co-fondateur de Roasters United, une coopérative regroupant plusieurs torréfacteurs européens qui additionnent leurs moyens pour construire des relations durables avec les caféiculteurs. Il nous en apprend davantage sur cette activité qui consiste à trouver de bons cafés mais aussi à faire évoluer la façon dont les producteurs envisagent leur métier.
Bonjour Florent, peux-tu nous rappeler en quelques mots en quoi consiste le sourcing de café vert ? Quels sont les différents aspects de cette activité ?
Le sourcing, c’est de l’analyse sensorielle, une manière scientifique d’apprécier des profils, d’identifier les qualités ou les défauts d’un café vert. Cela demande également d’avoir la capacité de comprendre tous les mouvements du café, de la plante jusqu’à l’entrepôt, ainsi que l’impact de chaque activité pré et post-récolte. Il faut se rendre sur le terrain afin d’apprécier les défis auxquels font face les producteurs, ainsi que les opportunités qui se présentent à eux. De cette manière, nous pouvons écrire une histoire commune afin de construire une chaîne de valeur dans laquelle chaque élément trouvera sa place, de la terre au consommateur.
Comment fais-tu pour découvrir de nouvelles origines ? Tu pars toujours avec quelques choses de précis en tête ?
C’est une question qu’on me pose très souvent. C’est difficile à expliquer, ce n’est pas toujours rationnel. Bien sûr, on se renseigne, on nous sollicite, on participe à des sessions de dégustation, on est en veille. Mais le point de départ, c’est souvent une discussion, ou une dégustation. On ne va jamais dans un nouvel endroit par hasard. À l’origine, il y a toujours une rencontre avec une personne ou avec un échantillon de café qui nous donne envie d’aller voir de plus près. L’exemple de la zone du Kivu en RD Congo est assez parlant. C’est un terroir relativement nouveau, qui intéresse les torréfacteurs de cafés de spécialité depuis 5 ou 6 ans. Tout a commencé avec quelques pionniers qui ont d’abord découvert des choses intéressantes au Rwanda, ce qui a donné ensuite l’idée à d’autres d’y aller, puis de regarder ce qui se faisait à côté, et ainsi de suite.
Tous les torréfacteurs ne sont pas acheteur de café vert, que t’apporte cette double casquette ?
Chez Esperanza, en assurant notre propre sourcing, nous travaillons avec des cafés que nous ne retrouvons pas forcément chez d’autres torréfacteurs concurrents, afin de nous différencier et d’avoir une identité produit forte. Cette démarche nous permet également de tisser un lien de confiance avec nos partenaires caféiculteurs et d’explorer ensemble tous les chemins possibles pour améliorer sur le long terme la qualité de nos cafés, en valorisant au maximum les communautés productrices et leur aventure. Enfin ce contact permanent avec les coopératives productrices éclaire notre compréhension de la réalité sur le terrain, et nous pouvons ainsi assurer une transparence totale sur notre marché et présenter la chaîne de valeur de la façon la plus cohérente possible auprès de nos clients.
Justement, après avoir sélectionné une coopérative ou une plantation, quel type de relations développes-tu avec les producteurs ?
Dans le sourcing du café il y a plusieurs méthodes : soit on cherche à mettre la main sur le meilleur café à l’instant T, soit on vise à instaurer une relation durable avec les producteurs pour construire une histoire commune sur le long terme qui rendra le café meilleur récolte après récolte. Nous suivons cette seconde approche, et au fil de cette histoire commune nous appuyons les communautés productrices par le prix, évidemment, mais également par un partage d’expérience qui vise à renforcer la position du caféiculteur dans la chaîne de valeur. Ce n’est pas aussi “sexy” qu’un prix, qu’un nom de micro-terroir, ou de process au moment de traduire cette démarche face au marché, mais cette notion d’échange est fondamentale dans notre approche. Les producteurs sont très éloignés du marché et nous visons à leur donner les outils pour mieux l’appréhender, mieux l’approcher, et faire en sorte qu’ils deviennent de réels entrepreneurs innovants. Encore aujourd’hui, la grande majorité des caféiculteurs le sont par “défaut”. Et nous œuvrons chaque jour à modifier cette tendance. Par des activités de formation, comme la dégustation, les caféiculteurs peuvent facilement comprendre les raisons pour lesquelles les acheteurs sont prêts à payer davantage une meilleure sélection de cerises de café versus une sélection plus aléatoire. L’incitatif financier n’est selon nous pas suffisant et finalement assez “pauvre” quand on veut mettre l’humain au centre du projet. S’il s’accompagne par l’expérience cela devient beaucoup plus “riche” pour le caféiculteur. C’est un exemple parmi d’autres.
Éthiopie, Congo, Honduras, Guatemala, Sumatra et j’en passe : la liste de tes voyages est impressionnante. Comment fais-tu pour être partout à la fois ?
On se répartit le travail à plusieurs. J’ai co-fondé Roasters United, un groupe de 16 torréfacteurs européens, afin de permettre à des torréfacteurs artisanaux comme nous, de mutualiser leurs énergies pour sourcer directement des cafés verts à l’origine. Tous n’ont pas l’expérience pour jouer le rôle d’acheteur mais tous sont intégrés au processus d’achat. Sur les 16 membres, 4 d’entre-nous s’occupent du sourcing en se répartissant les origines. Notre but est aussi de transmettre le savoir, d’impliquer toujours davantage de membres dans le processus d’achat, sur la base du volontariat. Il y a deux ans, nous avons commencé à travailler sur une nouvelle origine et j’ai pu former un torréfacteur volontaire sur le thème de la logistique afin qu’il puisse gérer cette relation. De la même manière que nous essayons d’impliquer les producteurs dans la commercialisation de leur produit, nous faisons le chemin inverse avec les torréfacteurs en les impliquant dans le sourcing.